« La pandémie de Covid-19 a mis encore davantage en lumière les fragilités de nos systèmes agroalimentaires et les inégalités de nos sociétés, et a accentué la faim et l’insécurité alimentaire grave dans le monde » : constate l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), dans son rapport en 2022 sur la sécurité alimentaire et la nutrition dans le monde. En effet, la crise sanitaire du Covid-19 a bouleversé de nombreux aspects de nos vies notamment nos habitudes de consommation alimentaire. De nombreux facteurs tels que les confinements, la fermeture des restaurants, le travail à domicile ont influencé notre manière de consommer.
En France, 37% de la population française déclare ne pas reprendre ses habitudes de shopping d’avant le confinement d’après le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie. De nouveaux comportements d’achat ont émergé chez les consommateurs. Le confinement et la fermeture des restaurants ont entraîné l’augmentation d’une cuisine faite maison. On a constaté deux autres tendances fortes : la floraison des e-commerces et un recours plus prononcé aux commerces de proximité ; une propension déjà bien entamée avant la crise. Face aux dérèglements des chaînes d’approvisionnement et l’accroissement d’un intérêt pour la santé et le bien-être, les consommateurs ont privilégié des produits locaux et frais. Cependant, les difficultés économiques, l’essor des e-commerce ont également contribué à une hausse de la consommation des produits transformés au détriment de la qualité nutritive. Ces données soulèvent la question de l’inégalités des consommateurs face au système alimentaire, mais également de la durabilité de ce mode de consommation. De plus, ces nouvelles habitudes induites par la pandémie sont-elles passagères ou ont-elles vocation à durer dans le temps ?
La crise du Covid a permis d’observer les comportements des consommateurs : la situation anxiogène a suscité des achats excessifs : une thésaurisation de la nourriture.
Vicki Yeung, professeur à l’Université de Hong Kong, constate un mécanisme de « conformité informationnelle (…) lorsque les gens sont dans une situation d’incertitude et de manque d’information, ils ont tendance à suivre le comportement du groupe et à s’y conformer aveuglément ». Cela concerne en particulier les produits alimentaires et d’hygiène en France. La psychologie du consommateur a été indéniablement transformée par cette situation de crise : achats paniques, peur de pénuries alimentaires, changement dans les habitudes d’achats. Plusieurs tendances ont émergé lors de cette crise.
Premièrement, on observe une expansion du numérique dans le secteur de la consommation.
Daniel Ducrocq, spécialiste de la grande distribution chez Nielsen, note : « les livraisons à domicile ont progressé de 77,5 %, les ventes du drive de 78,3 % » et « la part du e-commerce pour les produits de grande distribution est passée de 6% à 10,6% » . La Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD) explique que l’essor du e-commerce amorcé avec le Covid-19 ne se maintient pas à un niveau aussi élevé en 2023, mais enregistre tout de même une croissance. Les arbitrages de consommation freinent l’e-commerce mais le domaine de l’alimentaire, indispensable, se maintient : « Sur l’année 2023, le niveau élevé de l’inflation sur l’alimentaire (+12%) a entraîné une forte hausse du chiffre d’affaires Alimentaire/Produits de Grande Consommation avec +11% ».
Deuxièmement et parallèlement à ce recours au numérique, de nombreux consommateurs cherchent la proximité: « Plus d’un quart des Français (27%) indiquent se rendre davantage dans les commerces de proximité » d’après une étude de BNP-Paribas/Ifop. Le soutien à l’économie locale et l’attrait pour les produits locaux (Le soutien à l’économie locale et l’attrait pour les produits du terroir) sont des motivations prégnantes. Le confinement a réduit le nombre de lieux d’approvisionnement. Une personne fréquente en moyenne 3,6 endroits différents contre 4,4 avant le confinement. Les trois lieux d’approvisionnement les plus cités sont le supermarché, la boulangerie et l’épicerie. La fréquentation des marchés a diminué et les achats à distance auprès des paniers producteurs ont augmenté.
Durant le confinement, en France métropolitaine, on a constaté une dégradation des pratiques alimentaires chez une partie de la population. Cette réclusion, en effet, a favorisé la sédentarité et causé, par là même, une augmentation de l’apport énergétique. « Pendant le confinement, sur une période d’environ deux mois, 35 % des participants avaient pris du poids, avec +1,8 kg en moyenne » d’après l’Équipe de Recherche en Épidémiologie Nutritionnelle. Le confinement a provoqué la diminution de consommation de produits frais au profit des sucreries, biscuits et gâteaux. L’ennui et le stress sont évoqués comme causes de grignotages. Manque de temps, surcharge entre la vie familiale et télétravail provoquent une compensation alimentaire. De plus, les fermetures des salles de sport et autres lieux de pratiques sportives diminuent l’accès aux activités physiques.
Une autre partie de la population, au contraire, a connu une évolution nutritionnelle positive avec une perte de poids qui s’explique par le rééquilibrage alimentaire dû à une cuisine de plats faits maisons et une consommation accrue des fruits et légumes. En outre, la pandémie a contribué à un regain d’intérêt pour les régimes alimentaires végétariens, véganes et flexitariens.
En même temps, L’Île-de-France connaît une forte hausse de la précarité alimentaire. L’inflation est d’environ 35 % en avril 2023 par rapport à début 2020. Ces inégalités socioéconomiques et crises à répétitions n’encouragent guère une population appauvrie à se tourner vers des produits locaux de qualité, issus de l’agriculture biologique; ces inégalités socioéconomiques et crises à répétition n’encouragent guère une population appauvrie à se tourner vers des produits locaux de qualité, issus de l’agriculture biologique. Cela remet en question l’accès qualitatif et quantitatif d’une alimentation saine et variée pour tous. Le gouvernement français en 2018 a promulgué la loi Egalim avec pour objectif d’équilibrer les relations commerciales dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation, et de rendre accessible à tous une nourriture saine et durable. Cette loi promeut à la fois des contrats équitables, un soutien à l’agriculture locale, l’anti-gaspillage alimentaire et une éducation pour une alimentation saine.
Le double choc de la crise du Covid-19 et de la guerre en Ukraine a entraîné une inflation à 2 chiffres, supérieure à 10% sur les produits alimentaires, qui génère en France une hausse spectaculaire de l’aide alimentaire à laquelle les acteurs habituels ne peuvent faire face.
Aussi, de toutes nouvelles initiatives, comme l’épicerie solidaire le Jardin d’Alcinoos, émergent et tentent d’atténuer les difficultés économiques de consommateurs modestes. L’association souhaite offrir une alternative de proximité durable et qualitative aux Franciliens et résidents de l’agglomération Roissy Pays de France. Son projet d’implantation de click and collect concerne plus 12 villes de la région. Soucieuse d’offrir des produits frais et locaux à des tarifs adaptés selon les profils des consommateurs, l’épicerie souhaite faire profiter de denrées de qualité dans une démarche solidaire et durable. Dans cette continuité, elle s’engage à réduire son émission de carbone et à inclure les acteurs locaux. Anti-gaspillages, réduction du plastique, propositions d’achats en vrac et une attention particulière à la mobilité électrique sont les quelques exemples de pratiques durables pour permettre un système alimentaire durable.
En conclusion, la crise du Covid a eu une incidence significative sur le comportement d’achat alimentaire des consommateurs dans le monde entier. En France, de nouvelles tendances ont émergé : hausse de la consommation de produits frais et locaux, développement du e-commerce alimentaire et vigilance croissante à l’alimentation durable. Dans l’ensemble, on observe une prise de conscience collective. Face à l’inflation et autres crises comme la guerre russo-ukrainienne, la population réévalue sa manière de consommer et tente de maîtriser un pouvoir d’achat fragilisé.